On entend toujours parler de succès: promotions, projets, courbes de croissance. Mais presque personne n’évoque les failles qui vont de pair. Ces moments où rien ne va plus, quand les candidatures échouent, la présentation fait un flop ou que les projets implosent. Pourtant, c’est de là que naît la résilience.
La Suisse elle-même montre comment cela fonctionne. En l’espace de quelques années, elle a connu trois crises: la pandémie de Covid-19, la crise énergétique et l’effondrement de Credit Suisse. Des moments qui semblaient tous sonner la fin. Et pourtant, le rapport de situation 2024 du Conseil fédéral relève que: «Une fois encore, l’économie suisse dans son ensemble s’est avérée extrêmement résiliente.» Malgré ces crises, le PIB par habitant a progressé de 0,84 % par an entre 2019 et 2022 (Conseil fédéral, 2024).
Mais cette résilience ne va pas de soi. Elle n’a été possible que grâce aux soutiens structurels, au chômage partiel, aux garanties de l’État ainsi qu’à une industrie pharmaceutique forte. Autrement dit, même si le pays semble «résilient» collectivement, les destins individuels sont souvent plus fragiles. Chaque personne ne résiste pas de la même manière. Cette tension rend justement ce sujet intéressant dans le domaine des carrières.
Le même principe vaut au niveau personnel. La recherche sur la résilience parle d’un «résultat de développement positif inattendu malgré les obstacles» (Lisi, 2020). La résilience n’est pas un trait de caractère fixe, mais un processus: elle résulte de l’interaction entre les contraintes et les ressources. Ceux qui connaissent des échecs développent des compétences qui ne peuvent pas être acquises en s’entraînant.
Il ne s’agit toutefois pas d’embellir la résilience: tous les échecs ne rendent pas plus fort. Certaines cassures sont si profondes qu’elles ne peuvent être surmontées qu’avec des systèmes de soutien. La résilience n’est jamais seulement individuelle, elle est toujours structurelle.
Aux États-Unis, l’échec fait presque partie du parcours professionnel. «Fail fast, learn faster» est devenu un mantra de la Silicon Valley. Une notion qui désigne aujourd’hui moins un lieu géographique qu’une manière de penser: prise de risque, orientation vers la croissance, acceptation des failles.
Des investisseurs comme Reid Hoffman ou Marc Andreessen soulignent qu’ils préfèrent les créateur·rices d’entreprise ayant connu au moins une start-up qui a échoué, car ces expériences sont considérées comme un indicateur de la capacité d’apprentissage et d’adaptation. Les fondateurs d’Airbnb, qui ont échoué pendant des années avec des idées farfelues comme la vente de boîtes de céréales à l’effigie d’Obama («Obama O’s») avant que leur plateforme ne rencontre le succès, en sont de parfaits exemples.
Mais ce récit d’échec n’est pas universel. Il est étroitement lié à des milieux spécifiques: des cultures technologiques et d’entreprise dans lesquelles le capital social et financier amortit les échecs. Pour les personnes qui ne disposent pas de ces réseaux, il n’est pas rare qu’une faille aux États-Unis soit synonyme de chute. «L’échec comme une distinction honorifique» est donc moins une réalité pour tous qu’un idéal culturel de certaines élites (cf. Sarasvathy, 2001; Shepherd, 2003).
Il en va tout autrement au Japon: malgré le kintsugi et l’idéal esthétique de la réparation, l’échec dans la vie professionnelle est rarement évoqué en public. Les faux pas sont souvent associés à un sentiment de honte. Les concepts de honne (véritables sentiments) et de tatemae (façade sociale) illustrent à quel point un conflit intérieur entre l’échec individuel et l’exigence d’harmonie collective peut être important. En même temps, le principe kaizen (amélioration continue) montre que là aussi, les failles ne sont pas ignorées, mais intégrées discrètement dans les processus d’apprentissage et d’optimisation. La résilience ne signifie pas ici «célébrer l’échec», mais plutôt «absorber l’échec».
La résilience se manifeste non seulement dans les économies nationales ou dans les modèles théoriques, mais aussi et surtout dans les parcours de vie individuels. Chez nous, beaucoup de collègues prouvent que les échecs et les détours ne sont pas des obstacles, mais des moteurs.
Olivier Geiger, par exemple, raconte comment il est passé du Service clientèle à l’Underwriting, un parcours riche en changements de cap et en nouvelles opportunités. Marc Niederhauser évoque lui aussi son parcours, de la construction de routes au conseil à la clientèle, porté par le courage, une reconversion professionnelle et un solide réseau.
Ces histoires démontrent que la résilience ne se présente pas toujours de manière spectaculaire. Parfois, elle signifie tout simplement aller de l’avant, emprunter de nouvelles voies et devenir responsable de son propre bonheur. Il ne s’agit pas de rechercher l’échec, mais de prendre au sérieux les points de bascule et de reconnaître en eux le potentiel d’une transformation.